Samedi 6 juillet 15h, lundi 8 juillet 9h, service des urgences#Melun.
Cécile et moi avons garé notre voiture sur un des parkings payants à proximité immédiate de l’entrée et poursuivi à pied jusqu’aux urgences : pas de trottoirs, ni passages piétons. Des banderoles et pancartes signalent partout la grève entamée le 8 juin, il y a un mois. 94% du personnel des urgences est en grève !
Nous entrons et nous présentons à l’accueil : « Bonjour, nous sommes un collectif citoyen Bien Vivre à Melun et nous venons soutenir les grévistes. Nous avons deux élu·es d’opposition à Melun et je suis élue régionale ». Les femmes auxquelles nous nous adressons nous sourient et nous invitent à passer la porte.
Assignées à leur poste, nous remarquons sur leurs blouses blanches et bleues de grosses bandes de sparadraps flanquées de « EN GRÈVE ».
Les urgences sont le dernier service public qui accueille tout le monde : les vieilles, les vieux, les folles, les fous et les indigent·es.
Les Ehpad, le Samu social, la Police, les services psychiatriques, tous manquent de moyens et rabattent les personnes dont ielles ne peuvent plus s’occuper sur les urgences.
Les cliniques privées trient leurs patient·es et se délestent sur nous : les patient·es sans mutuelle et le week-end en l’absence de spécialistes ou encore quand les traitements sont trop lourds ou coûteux. Elles n’ont aucun scrupule à renvoyer leurs client·es vers l’hôpital public. Et avec cette nouvelle organisation en plate-forme publique-privée le tri est plus facile à faire.
Pourtant, l’hôpital public a toujours moins de moyens.Nous manquons de lits mais ils continuent d’en fermer. Il arrive qu’on démarre le week-end sans un seul lit disponible pour les urgences. Les personnes attendent des heures sur des brancards. C’est à nous qu’on demande de gérer la pénurie organisée par l’Etat. Nous travaillons à flux-tendu 60 heures par semaine faute de personnel. Pendant la grève, nous refusons de faire des heures supplémentaires pour obliger l’hôpital à recruter les 14 postes d’infirmier·e manquants aux urgences. Mais plutôt que d’entendre nos revendications, la direction nous culpabilise et prétend que nous sommes responsables des situations « contraires au protocole » parce que nous refusons les heures supplémentaires.
C’est absurde. La gestion de la pénurie nous prend plus de temps que le traitement des patients. Ce matin, il a fallu trois heures à un médecin pour trouver une place dans un hôpital à un patient pour lequel il avait établi le diagnostic en 10 minutes. Cette gestion génère beaucoup de stress et de violence. Insultes, coups, agressions sont fréquents de la part de patient·es malades qui souffrent ou de leur famille, inquiets et exaspérés par ces dysfonctionnements.
Notre première revendication : la prise en charge des patient·es. Ça devrait aller de soi mais non ! Ce système ne soigne correctement que les client·es, ceux qui paient cher, de plus en plus cher. Les autres, les patient·es, la majorité, sont consignés dans des hôpitaux que l’administration a privé des moyens d’assurer correctement leur mission de service public.
Nous sommes devenus les urgentistes de la société toute entière. Les urgentistes d’une société malade de son obsession comptable. Un directeur d’hôpital qui ramène les comptes à l’équilibre touche une prime de 60 000 euros ! C’est le prix de notre précarité et d’un hôpital à bout de souffle.
J’ai eu 9 contrats en CDD en 2 ans. Nous attendons 7 – 8 ans pour être titularisé, sans prime, sans possibilité d’évolution.
Aujourd’hui, l’hôpital de Melun compte 614 contractuel·les, c’est à peu près 1/3 des effectifs. Personne ne choisit de travailler pendant tant d’années sans certitude du lendemain. Ça complique beaucoup la vie. 46 postes seulement sont pressentis pour être titularisés : 46 sur 614 !
Suite à la grève, la direction annonce 6 ou 7 recrutements sur les 14 postes d’infirmier·e manquants. Comme il y en a 5 qui partent, ça fait même pas 2 en plus ! Pour elleux, on a obtenu des CDI directement à l’embauche après une période d’essai de 4 mois, renouvelable 2 fois. C’est sans doute mieux que rien mais tellement insuffisant.
L’administration récompense le recours aux contrats précaires. Elle récompense la détérioration des conditions d’accès au soin, les heures à attendre, les couloirs encombrés de brancards chargés de patients sans lit. Elle crée la chaos et nous envoie au front calmer l’incendie qu’elle allume.
C’est tout le système de santé qui est à revoir.
Comme tout·es les melunais·es, je connais bien l’hôpital de Melun. J’y ai accompagné mes enfants, m’y suis rendue en consultation, m’y suis faite opérée. J’y ai toujours été très bien soignée et traitée par un personnel qui fait de son mieux. En un peu plus de 10 ans, j’ai vu les conditions de travail du personnel hospitalier se détériorer. Les queues pour réserver un rendez-vous. Et puis, la secrétaire qui, après 1/2 heure d’attente, vous conseille gentiment d’aller voir du côté des cliniques privées si vous ne voulez pas ou ne pouvez pas attendre trois à quatre mois pour un rendez-vous avec un spécialiste. Ça me met en colère mais je sais bien qu’elles n’y sont pour rien. J’ai vu l’imagerie médicale entièrement privatisée. Le parking confié à la gestion d’un grand groupe privé et rendu payant.
Tout l’hôpital est en souffrance, ses patient·es, son personnel. Nous sommes tou·tes maltraités par l’État libéral.
Aux urgences où le travail s’effectue « en phase aiguë », la violence du système devient insoutenable.