Pour marquer cette journée internationale des migrants, nous publions cette lettre restée sans réponse avec l’aimable autorisation de ses auteurs. Nous regrettons que le président du conseil départemental de Seine-et-Marne, Patrick Septiers, n’ait pas encore répondu à la Ligue des Droits de l’Homme, au Réseau Education Sans Frontière et au Secours Catholique. Trois associations engagées auprès des plus démuni-es d’entre nous pour le respect de nos droits fondamentaux. Ainsi que cette lettre l’énonce, la situation des mineur-es et jeunes majeur-es isolés dans notre département est extrêmement préoccupante pour nous tou-tes et devrait recevoir une réponse effective et rapide de la part de la collectivité qui doit les accompagner ainsi que le lui a d’ailleurs rappelé la justice.
LDH, RESF, Secours Catholique
C/O Secours Catholique
16 Rue Paul Valéry
77000 Melun
Monsieur Patrick SEPTIERS
Président du Conseil Départemental
19 rue Saint Louis
77000 MELUN
Melun, le 12 OCTOBRE 2018
Objet : Situation des Mineurs étrangers isolés étrangers et des jeunes majeurs confiés à l’ASE jusqu’à leur majorité
Monsieur le Président,
RESF77, la LDH77, Le Secours Catholique de Melun, des citoyens solidaires vous interpellent sur les conditions d’accueil des mineurs isolés étrangers et des jeunes majeurs confiés à l’ASE jusqu’à leur majorité, et vous demandent de prendre les mesures nécessaires pour un véritable accueil dans le respect de ces jeunes migrants.
Nous avons tenu durant l’été des permanences associatives pour apporter une aide juridique à ces jeunes. Nous avons recueilli des témoignages accablants et constaté de visu la maltraitance qui leur est faite par le Département.
1)- Mineurs isolés :
- La façon dont « Jeunes Errants » reçoit les jeunes est indigne. Ils subissent une évaluation de reconnaissance de minorité expéditive et arbitraire sous forme d’interrogatoire suspicieux. Ils sont soupçonnés de tricher sur leur âge, leur identité ou leur parcours, traités comme des délinquants alors qu’ils sont avant tout en danger. Ils sont humiliés durant cet interrogatoire et en sortent laminés.
Cette Association mandatée par vos soins utilise des arguments fallacieux ; entre autres, cette liste n’étant pas exhaustive :
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- d’un simple regard , au vu de son aspect physique et de sa pilosité estimer que le jeune est majeur ;
- déclarer le mineur non isolé au prétexte qu’il est accompagné ou en relation avec une association ;
- considérer que sa tenue vestimentaire est trop propre pour quelqu’un vivant à la rue ;
- estimer que les documents fournis sont faux sans vérification.
Les jeunes qui finalement sont reconnus mineurs et confiés à des structures privées mandatées par l’ASE se retrouvent sans scolarisation pendant des mois, sans avoir passé les tests CIO ; beaucoup d’entre eux arrivent à la majorité sans avoir été scolarisés, ils ne seront donc pas régularisés.
Ces structures se contentent de faire du gardiennage sans aide éducative et souvent sans même leur apporter l’aide dans leur démarches administratives (le renouvellement de leur CMUC n’est pas faite par exemple, ce qui les empêche d’obtenir un passe Navigo moins cher). Les jeunes peuvent être « stockés » dans des hôtels ou des appartements partagés sans voir d’éducateur, sauf une fois par semaine pour contrôler qu’ils entretiennent les lieux où ils vivent. Ils se sentent abandonnés et vivent dans un grand désarroi psychologique.
Certains d’entre eux, malades ou avec prothèses, n’ont pas vu de médecin depuis des mois.
La situation financière est aussi très préoccupante. Les jeunes confiés notamment à « Empreintes », ont à pt des menaces dès qu’ils réclament quelque chose ou qu’ils protestent contre une situation, par exemple quand leur référent ou éducateur refuse la signature des dossiers d’inscription scolaire, ou qu’ils osent avoir des contacts extérieurs.
Les demandes de titre de séjour ne sont pas toujours faites avant que les jeunes aient 18 ans – notamment quand le jeune n’a pas du tout été scolarisé.
2) jeunes majeurs :
- Mise à la rue dès leur 18 ans, qu’ils aient des contrats d’apprentissage et des ressources ou pas.
- Refus systématique des contrats jeunes majeurs, plus de prolongation de ces contrats sauf rares exceptions et selon des critères qui ne semblent pas clairs.
- L’ASE n’ayant pas fait les démarches nécessaires, certains jeunes majeurs se voient privés de compte bancaire et dans l’impossibilité de recevoir leur salaire quand ils sont en apprentissage ou en alternance.
Pour ces jeunes l’entrée dans l’âge adulte présente une transition importante, eux qui ont fourni des efforts importants, accepté une discipline de vie, dans une bonne dynamique d’insertion se voient à l’aube de leur majorité plongés dans une grande détresse, ils vont éprouver des difficultés d’insertion faute de ressources ou d’un accompagnement social et éducatif.
Et pourtant, c’est bien de la responsabilité des politiques et des professionnels de les protéger, de consolider ces futurs adultes, de les accompagner dans leur intégration sociale et professionnelle, ce que le Conseil Départemental, au mépris de toute considération, leur refuse.
Ces jeunes sont pris en étau entre l’État et le Conseil Départemental et sont devenus un moyen de pression. L’Aide Sociale à l’Enfance les met dehors à 18 ans. Les économies attendues sur le dos des jeunes majeurs entrent en contradiction avec les dispositifs qui sont ouvert à tous ; mais en attendant, ce sont des jeunes qui sont à la rue dans l’indifférence la plus totale.
Les associations et les citoyens solidaires, qui se sont investis dans cette cause, ont donné beaucoup de leur temps et de leur énergie pour pallier aux insuffisances et défaillances des Institutions et de l’ASE (recherche d’hébergement, avance pour payer titre séjour, frais courants..) mais ce n’est qu’un palliatif à l’incurie des services publics qui doivent réinvestir dans leur mission de protection, de soutien éducatif, matériel, psychologique.
Ces jeunes en souffrance, fragilisés, se sentent délaissés, abandonnés, ils doivent aujourd’hui affronter la violence de la rue, l’isolement, le manque de considération, l’indifférence des Institutions Françaises chargées de les protéger. Ils ont besoin d’être épaulés, soutenus par des professionnels qui leur donnent espoir.
En conséquence, nous vous demandons de bien vouloir prendre les mesures nécessaires afin que notre département :
- respecte l’obligation de mise à l’abri de « toute personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille » conformément aux dispositions du CASF ;
- assume ses obligations dans le premier accueil des mineurs isolés en procédant à une évaluation respectueuse de leurs droits, ce qui implique notamment de respecter la présomption de validité des actes étrangers et de leur accorder le bénéfice du doute ;
- pour ces jeunes vulnérables une prise en charge jusqu’à la fin des études ou jusqu’au premier emploi ;
- d’assurer la totalité des missions qui lui incombent , en particulier dans le domaine de la scolarisation et l’assistance dans les démarches administratives ;
Nous nous tenons à votre dispositions pour discuter de l’ensemble de ces questions. Sans réponse de votre part d’ici 15 jours à compter de la réception de cette lettre, nous nous réservons le droit de rendre public ce courrier.
Nous vous prions de recevoir, Monsieur le Président, nos salutations républicaines.
Danielle Jouaire pour la LDH,
Colette Chatte-Gabillard pour le Secours Catholique,
Anne-Marie Kerrar pour RESF