Par Bénédicte Monville-De Cecco, Conseillère régionale d’Île de France (groupe EELV&A)
Article publié sur Mediapart le 3 juin 2016 : https://blogs.mediapart.fr/benedicte-monville/blog/030616/le-lycee-de-valerie-pecresse-l-argent-et-l-ordre
Globalement, le projet de Valérie Pécresse pour l’école oscille entre deux positions contradictoires et pourtant également réactionnaires : la restriction des libertés politiques et individuelles des élèves et la libéralisation économique. En clair : le bâton pour les élèves, la permission pour les entrepreneurs privés de l’éducation.
Ce projet est adossé à une vision de l’éducation qui n’est pas seulement néolibérale de manière caricaturale, elle est aussi aristocratique puisque les propositions faites réintroduisent le privilège de la fortune. L’éducation n’est plus un outil d’émancipation, elle est un marché potentiel, un réservoir de main d’oeuvre utilement formée au plus près des entreprises et un lieu de sélection des « meilleurs » dont on s’assure qu’elles et ils seront aussi, dans leur grande majorité, issu.e.s des classes les plus privilégiées.
L’argent
Dans un rapport d’une hypocrisie confondante, la majorité régionale prétend vouloir instituer une égalité de traitement entre les élèves des lycées privés et publics. Aussi, réintroduit-elle l’ensemble des financements non obligatoires en faveur de l’école privée (!) : aide à la demi-pension, manuels scolaires gratuits, aide à la « sécurisation des établissements », aide pour les frais de concours, etc. Et ce, alors même que l’Etat assure déjà la majorité du financement des établissements privés sous contrat à travers la rémunération de leur personnel enseignant.
La majorité déclare vouloir permettre aux familles de « faire le choix de l’école privée ». En réalité, elle encourage les stratégies familiales d’évitement de l’école publique quand cette dernière se révèle incapable, faute de moyens, de remplir correctement ses missions pédagogiques. Car ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas de donner de l’argent aux lycées privés en maintenant le budget consacré aux lycées publics, mais de diminuer drastiquement les moyens du public en les détournant vers le privé. Cette politique de soutien appuyé à l’école privée accentuera les inégalités de traitement entre les élèves du public et du privé. Elle contredit le projet révolutionnaire d’une instruction publique qu’en septembre 1789, Talleyrand dans un discours à l’Assemblée Nationale qualifiait justement de bien commun : « Nul ne peut en être légitimement exclu et celui-là qui a le moins de propriétés privées semble même avoir un droit de plus pour participer à cette propriété commune ».
La plupart des familles modestes continueront de fréquenter l’école publique mais une école rendue incapable de remplir correctement ses missions d’instruction et d’éducation. Car quel choix auront ces familles dont la majorité n’a ni capital social ni capital économique ? Et, est-il souhaitable de substituer progressivement au service public d’éducation, laïc, gratuit et ouvert à tou-te-s, un service payant, majoritairement non laïc et qui sélectionne les jeunes qu’il accueille.
Cette entreprise de remise en cause du service public de l’éducation par sa privatisation progressive se poursuit à travers l’externalisation de la prise en charge du décrochage et des difficultés scolaires vers le secteur privé. Ainsi, pour lutter contre le premier, la majorité propose de travailler avec les acteurs de l’insertion sociale et professionnelle des jeunes sans préciser à quel modèle économique, lucratif ou non, ils pourront appartenir. Il y a fort à craindre que bientôt les nombreuses associations qui font un excellent travail se retrouvent concurrencées par des vendeurs de cours privés. Elle souhaite aussi moderniser et professionnaliser le suivi des jeunes « décrocheurs » en confiant, par exemple, à un prestataire de service privé les appels téléphoniques de premier contact. Que les centres téléphoniques soient souvent de très mauvais exemples en matière de gestion du personnel voire de dumping social n’a pas l’air de déranger la majorité régionale. En outre, elle institue des tutorat et études dirigées qui pourront être effectués par des retraités ou salariés. Le chef d’établissement qui gèrera dorénavant un budget « autonomie » avec un volet « ressources humaines » est ainsi transformé en chef d’entreprise. Une manière d’augmenter la part des emplois de service précaires mal rémunérés et mal encadrés au sein même des lycées publics.
De plus, après avoir amputé le budget de fonctionnement de 110 millions d’euros pour la rénovation et de 19 millions pour les grosses réparations, la nouvelle majorité entend palier à l’état de vétusté de certains lycées en mobilisant « des recettes nouvelles » pour répondre au « double défi de la qualité et de la rapidité ». Ce discours managérial est à l’unisson de la volonté qui l’accompagne : faire de la construction et de l’entretien des lycées une occasion de profit pour l’économie capitaliste en valorisant le « foncier lycée disponible » et en recourant à « des marchés de partenariat » (entendez PPP-Partenariats Public Privé). Dans le premier cas, la nouvelle majorité pourra – c’est d’ailleurs l’exemple qui nous a été donné en commission – vendre le parc d’un lycée au mépris de son intérêt écologique et éducatif pour payer les travaux de sa rénovation. Dans le second cas, elle passera outre les recommandations de la cour des compte (2015) et de la commission des lois du Sénat qui, en 2014, qualifiait ces PPP de « bombes à retardement ».
Non seulement, la majorité régionale attaque l’école publique en détournant l’argent dont elle a cruellement besoin vers les entrepreneurs de l’éducation mais elle l’intègre partout où c’est possible au système économique capitaliste et une part du personnel des établissements sera dorénavant soumis à une relation de subordination salariale directe vis à vis du chef d’établissement.
Ce faisant, la majorité régionale sous-entend que l’école publique serait incapable de régler les problèmes auxquels elle est confrontée. Car il ne s’agit pas seulement de concrétiser la promesse de rendements formidables dans un secteur de l’éducation enfin privatisé, il faut attaquer le projet d’émancipation qui est au fondement du service public de l’éducation, mettre un terme à l’idéal que dessinait en creux Condorcet en avril 1792 : « Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule (…), le genre humain restera partagé en deux classes : celles des hommes qui raisonnent et celles des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves ».
L’ordre
C’est ainsi, en effet, qu’il convient d’envisager toute une série de mesures qui contreviennent à l’idée libérale, au plan politique cette fois, forgée, en Occident, dans l’humanisme et poursuivie dans les Lumières que l’être humain instruit est capable de gouverner sa propre destinée.
La consommation de drogue ou d’alcool est réduite à ses formes pathologiques et addictives et les lycéen.ne.s consommateurs uniquement perçu.e.s comme des malades délinquant.e.s qu’il s’agit d’identifier en les soumettant à des « tests salivaires », de soigner et/ou de poursuivre. Une vision puritaine inepte qui mélange tout : consommation raisonnée, addiction, traffic de stupéfiants, échec scolaire et aboutit à une gestion simpliste, bêtement répressive qui a malheureusement plusieurs fois montré son impéritie. D’ailleurs le CRIPS (Centre régional d’information et de prévention du sida) Île de France dont les missions ont été élargies à l’ensemble des comportements à risque et qui fait pourtant un excellent travail de prévention, voit son budget rogné.
Le tutorat est dévoyé et cesse d’être une relation pédagogique fondée sur l’échange réciproque entre pairs pour développer la capacité des uns et des autres à transmettre et approfondir leurs connaissances.
L’échec scolaire est naturalisé et la majorité régionale de droite parle d’« orientation non adaptée au potentiel de l’élève ». On craint le pire quand on lit qu’il s’agira d’« améliorer le travail sur l’orientation ». De quoi parle-t-elle, d’accompagnement ou de suggestion, d’éclairer les lycéen.ne.s sur les choix qui s’offrent à eux ou de les persuader que l’orientation qu’elles-ils ont choisie ou s’apprêtent à choisir est inadaptée à leur potentiel ?
C’est tellement plus commode que de reconnaitre sa responsabilité dans la promotion d’un système scolaire qui vise essentiellement à objectiver l’éviction des classes populaires de l’école et à perpétuer, sous couvert de mérite, la domination bourgeoise.
Car c’est bien ce que fait la majorité régionale de droite tout en prétendant lutter en faveur de l’insertion des élèves sur le marché du travail. Elle institue les bourses au mérite et aides aux frais de concours et, ce faisant, participe à la survalorisation des diplômes alors même que c’est un facteur d’inégalité et une des causes du déclassement systématique des jeunes les moins diplômés qui sont aussi le plus souvent issu.e.s des classes populaire ou moyenne inférieure. Bien sûr, ces mesures veulent aussi encourager les exceptions qui serviront de caution objective, de signe imparable que notre système fonctionne quand il est en réalité violemment élitiste.
Tout comme elle s’emploie à dissimuler la principale raison du décrochage scolaire. Il n’est quasiment jamais question des inégalités sociales et culturelles. Pourtant, comme le dit la sociologue de l’éducation Marie Dubu-Bellat : « Dans une société plus égale, où les familles auraient des conditions de vie plus égales et un niveau d’instruction plus égal, il y aurait moins d’échec scolaire. » Mais la majorité régionale de droite se fiche pas mal de la réalité. Que la voie professionnelle soit la plus touchée par le décrochage n’évoque rien pour elle et elle ignore tout des raisons évidentes qui peuvent détourner les familles du choix d’une orientation professionnelle et d’emplois surreprésentés dans les catégories : mauvaises conditions de travail (même plus compensées par des droits sociaux plus avantageux), très faibles salaires, espérance de vie inférieure, déconsidération, etc.
Cette vision conservatrice de l’éducation qui ignore que l’école est d’abord un instrument d’émancipation des individu.e.s est manifeste quand la majorité décide d’encourager les partenariats entre l’école et l’entreprise pour permettre aux lycéen.ne.s d’acquérir « les codes du monde de l’entreprise, la connaissance et la compréhension de son fonctionnement » et propose même de soutenir les initiatives visant à familiariser les professeurs avec le monde de l’entreprise. On pense en particulier aux enseignant.e.s de SES (Sciences Economiques et Sociales), d’histoire ou de lettres, devenu.e.s tout à coup incapables de satisfaire à l’enseignement de ces connaissances nécessaires. On se dit que bientôt les cours seront dispensés directement en entreprise, en immersion totale. L’entreprenariat comme réalisation ultime de l’individu. Le cauchemar d’Aldoux Huxley dans Le meilleur des mondes, le vrai conditionnement enfin réalisé : la réduction de l’éducation à une forme d’insertion professionnelle.
Le mépris grossier de la majorité pour les enseignant.e.s reflète un anti-intellectualisme présent, également, dans ses propositions pour lutter contre le terrorisme : des conférences de témoins directs « qui ont vécu dans leur chair le terrorisme ». Aussi importants que soient ces témoignages, en évinçant là encore les enseignant.e.s et le travail réflexif, on choisit l’édification par la sidération, le « choc émotionnel » (ce sont les mots de Valérie Pécresse) et la disqualification de la connaissance et de l’intelligence comme moyens d’appréhension du réel. Sinon, pourquoi dans le même temps diminuer drastiquement les subventions des associations de quartiers ou de lutte contre les discriminations et, dans les lycées, le budget qui y est consacré ? Pourtant, la distance face à l’évènement, en particulier quand il atteint un tel niveau de violence et une dimension historique, est une condition de la réflexivité critique. Le temps long est indispensable pour approcher la complexité d’un tel phénomène et il est urgent de comprendre les causes à la fois structurelles et conjoncturelles qui peuvent pousser des groupes d’individus mais aussi, parfois, des Etats à recourir au terrorisme. Là encore l’intelligence individuelle et les lycéen.ne.s sont rabaissé.e.s.
En réalité l’école ne peut ni ne doit répondre à ces injonctions libérales à moins de renoncer au projet d’émancipation individuelle et de démocratie qui la supporte, c’est-à-dire de renoncer à elle-même.