Élections départementales de mars 2015 : Discours de Bénédicte Monville-De Cecco prononcé, dans une version abrégée, lors de la soirée de lancement de la candidature d’union de la gauche et des écologistes d’« Ensemble : Pour une Alternative Populaire et Écologiste » sur le canton de Melun.

Photo Ben petiteDans nos sociétés contemporaines, où l’individu autonome dispose d’une certaine liberté de choix et s’est affranchi des assignations traditionnelles1, l’État garantit les deux formes de sécurité sans lesquelles aucune vie sociale n’est possible : la sécurité civile et la sécurité sociale. La première relève des protections civiles et judiciaires et suppose la constitution d’un État de droit. La deuxième relève de la protection sociale et suppose la constitution d’un État social.

À ces deux formes de sécurité garanties par l’État, il convient aujourd’hui d’en instituer une troisième, devenue également primordiale : la sécurité écologique qui relève de la protection environnementale et suppose la construction d’un État écologiquement responsable.

La paix, la solidarité et l’écologie forment les conditions de l’épanouissement d’une vie humaine autonome. Car comment être autonome si nous ne sommes pas protégé-e-s des aléas auxquels peuvent nous exposer la violence, la pauvreté, la maladie, la vieillesse, le chômage, etc. Comment être autonome sans la garantie d’une solidarité collective, entre les citoyennes et les citoyens et entre les territoires. Or, le département est considéré comme le « chef de fil en matière d’aide sociale, d’autonomie des personnes et de solidarité des territoires ». Et c’est bien de cela qu’il s’agit.

L’État de droit a donc le devoir de garantir la protection civile des personnes, conçues comme égales devant la loi. En France, ce principe est aujourd’hui remis en cause par des lois d’exception, des logiques discriminatoires et ségrégationnistes, des politiques d’immigration, des pressions économiques qui exposent certaines catégories de citoyennes et de citoyens à l’arbitraire et à l’insécurité civile. Ce principe est encore remis en cause par une interprétation régressive, fermée et agressive, du caractère laïc de l’État français qui entraine des exclusions de certaines populations de l’espace public laïc, des contrôles au faciès, des tracasseries administratives, des humiliations policières, une justice expéditive où les droits de la défense sont remis en cause, etc. Je défends, au contraire, une laïcité positive, ouverte et inclusive, qui s’inscrit en plein dans l’esprit de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État. Une laïcité qui réaffirme l’égale dignité de toutes les fois ou absence de foi, qui réaffirme que toutes les Églises ont également droit de cité et que l’État se doit de traiter les citoyennes et les citoyens avec la plus grande impartialité.

Parlons de l’État social maintenant. Les premières lois qui encadrent le travail en France datent du 19ème siècle. L’arsenal législatif sera régulièrement complété jusqu’à la loi sur les 35 heures, qu’on peut critiquer dans sa mise en oeuvre mais dont l’esprit (partage du travail, défense de valeurs non marchandes comme d’un droit au temps) constitue indéniablement un progrès. Depuis les années 1970, ce que certains désignent comme une Révolution conservatrice n’a cessé de porter atteinte aux droits acquis en attaquant l’État social (appelé maladroitement État providence). La loi macron constitue la dernière attaque et une des plus frontales. On peut distinguer deux angles d’attaque essentiels : la remise en cause d’une fiscalité redistributive et la génération d’un imaginaire ultralibéral qui glorifie la réussite individuelle et matérielle et où l’égoïsme (ou intérêt personnel) l’emporte sur toute autre forme de motivation (telle que l’empathie, la compassion, la générosité). On nous vend ce modèle à grand renfort de publicité et d’industrie culturelle et beaucoup parmi nous ont oublié que les réussites individuelles que notre société célèbre sont construites sur l’exploitation des classes populaires et de la nature, ici et ailleurs.

Le département doit reprendre à son compte cet idéal de protection sociale et d’égalité. En France, 8 millions de personnes vivent sous du seuil de pauvreté et parmi elles 1,5 à 2 millions sont des travailleurs/euses pauvres, c’est-à-dire des personnes dont le revenu ne leur permet pas de vivre décemment. Cette pauvreté nouvelle prend un sens particulier dans une société où le lien avec la terre est rompu, où les solidarités familiales et traditionnelles s’estompent et où le travail est devenu l’unique ressource disponible pour l’écrasante majorité d’entre nous. La fondation Abbé Pierre fait le constat alarmant que le mal logement progresse. Comment peut-on tolérer que des femmes, des enfants, des hommes dorment dans des logements exigus, insalubres ou même dorment dehors.

Le département doit assumer pleinement sa responsabilité en matière de politique sociale. Il est urgent de renverser l’imaginaire libéral de la responsabilité individuelle. Comme si certain-e-s parmi nous aimaient dormir dehors ou que notre capacité à trouver et à garder un emploi n’avait rien à voir avec la logique capitaliste qui fabrique des chômeurs/euses pour mater les salarié-e-s et imposer progressivement un régime de précariat généralisé qui consiste à transférer sur l’Etat la charge de la reproduction de la main d’oeuvre.

Comme si, également, l’échec scolaire n’était en rien déterminé par ces logiques ségrégationnistes qui frappent nos territoires condamnent certains de nos enfants dans des proportions insupportables à l’échec scolaire et, plus tard, à la précarité. Le département doit soutenir en priorité les collèges situés dans les territoires marqués par le chômage, la pauvreté et la désaffiliation sociale. Toute politique d’aménagement du territoire doit viser à empêcher ces logiques ségrégationnistes et, au contraire, à encourager une répartition harmonieuse des populations. Car, comment garantir l’égalité des citoyennes et des citoyens sans lutter pied à pied contre ces logiques d’exclusion et/ou ségrégationnistes qui fragmentent notre territoire et l’unité de notre communauté politique.

Mais je veux aussi parler de fiscalité redistributive. Pour redistribuer il faut prendre. Prendre à ceux qui ont, afin de donner à ceux qui n’ont pas. Il n’y a rien de révolutionnaire dans ce principe sinon la reconnaissance que dans une société capitaliste ceux qui possèdent les moyens de production utilisent la force de travail des autres pour maintenir et confirmer leur position dominante. Mais la révolution anti-fiscale menée par les classes possédantes aboutit à la baisse des prélèvements obligatoires sur les classes les plus aisées et prive l’État d’une partie substantielle de ses recettes à travers la déréglementation et la défiscalisation. Aussi, pour répondre aux injonctions économiques de la commission et de la banque centrale européenne, l’État continue, entre autre, de diminuer ses dotations aux collectivités locales, dont les départements. Les conséquences de ces politiques d’austérité sont immédiates. Sans argent, les collectivités locales sont de plus en plus dépendantes de partenaires privés pour financer leurs investissements. De ce point de vue, certaines luttes dans notre département et particulièrement dans notre canton sont exemplaires. Je pense aux ami-e-s du comité de défense de l’hôpital public avec lesquels nous nous battons pour le maintien d’un hôpital public de plein exercice et de proximité, seule garantie véritable d’un droit universel à la santé dans notre pays. Notre département doit soutenir de toutes les manières possibles ces luttes.

Les assemblées départementales à qui il incombe de mettre en oeuvre la politique sociale afin de garantir l’autonomie des personnes et la solidarité des territoires devraient être les fers de lance de ces combats là et investir avec fierté la politique sociale parce qu’elle est au coeur de l’égalité, de la fraternité et par conséquent de la liberté des citoyennes et des citoyens.

En matière d’emploi et de politique économique, notre marge de manoeuvre n’est pas grande mais elle existe. Le département est compétent pour engager une politique de développement dans le sens d’une économie sociale et solidaire. Une économie qui s’appuie sur d’autres formes de propriété, une propriété d’usage des travailleurs/euses eux-mêmes/elles-mêmes et repose sur une gestion partagée du pouvoir dans l’entreprise. Une économie aux services des êtres humains qui fait de son utilité sociale sa raison d’être. Nous devons suspendre toute forme d’aides directes ou indirectes au développement économique à ces conditions essentielles.

Et puisque les départements ont compétence sur les questions d’équipement rural, de remembrement et d’aménagement foncier, c’est toute la politique agricole de la Seine-et-Marne qu’il faut revoir. Nous devons encourager une agriculture pourvoyeuse d’emplois et décourager le modèle productiviste dominant qui les détruit. Nous sommes un département semi-rural. C’est une richesse extraordinaire à condition de ne pas se tromper de modèle de développement. La Seine-et-Marne est le département le plus grand et le plus rural d’île de France. En 2012, avec 335 871 hectares, elle présente de loin la plus grande surface agricole utile d’Île de France2. Cependant, on observe une tendance à la baisse et depuis 2005, le département a perdu 3000 hectares. Globalement en île de France, le nombre d’exploitations est passé de 6538 exploitations en 2000 à 4906 en 2012. De conséquence, le nombre d’actifs dans l’agriculture baisse également et, dans le même laps de temps ce sont 3967 emplois qui ont été détruits, passant de 12700 à 8733 emplois, dont la majorité sont localisés en Seine-et-Marne.

La production agricole se concentre autour des céréales, en particulier le blé et le maïs. Alors, que la production d’Oléagineux et de Protéagineux régresse. Cela a pour conséquences immédiates une organisation du travail agricole toujours moins nécessiteuse de main d’oeuvre. Si nous défendons les terres agricoles, nous voulons des filières agricoles pourvoyeuses d’emplois et de nourriture pour les habitant-e-s de la Seine-et-Marne et de l’Île de France : le maraîchage, l’élevage, l’arboriculture, les filières de transformation – il n’y a plus d’usine de transformation du lait, plus d’abattoir de bovins, par exemple. A terme, c’est la reconquête de notre autosuffisance alimentaire que nous visons et la création de dizaines de milliers d’emplois. Il faut produire, transformer et consommer localement.

J’ai parlé tout à l’heure de sécurité écologique et de protections environnementales. Laissez-moi développer pour finir cette idée là. Par définition, le capitalisme encourage la recherche illimitée du profit à travers des entreprises dont nous avons déjà plusieurs fois mesuré – je pense à la colonisation – qu’elles pouvaient être extrêmement violentes et prédatrices. Or, la main d’oeuvre et la nature constituent les principales ressources de l’entreprise capitaliste.

De la même manière que nous ne pouvons pas soutenir des entreprises qui n’auraient pas d’utilité sociale, nous devons refuser les industries polluantes ou qui ne seraient pas compatibles avec le développement durable de notre territoire. La sécurité écologique commence par décourager toutes les formes d’industrie qui portent atteinte à la santé des habitant-e-s de notre département. Au contraire, il faut soutenir leur reconversion écologique et développer une nouvelle relation au territoire qui fasse de sa protection et de sa valorisation écologique l’objectif de toute politique d’aménagement.

En Seine-et-Marne, la part des surfaces agricoles cultivées en bio, de 0,5% en 2005, est passée à 1,1% en 2012. Si elle a été multipliée par 2, la Seine-et-Marne est le dernier département d’Île de France avec le Val-d’Oise, loin derrière le Val-de-Marne avec 4,3%, la Seine-Saint-Denis avec 5,8% et la surface moyenne en France métropolitaine, 3,8%.

Nous voulons encourager l’abandon progressif de l’agriculture industrielle grande consommatrice d’intrants chimiques, destructrice du travail et dangereuse pour notre santé. Au contraire, il faut redonner vie à la terre et faire rire à nouveau nos campagnes en développant une agriculture écologique et biologique, créatrice d’emplois non délocalisables, comme nous l’avons déjà dit et qui satisfasse son objet premier : garantir la meilleure alimentation possible des êtres humains.

La sécurité écologique, c’est aussi promouvoir des transports routiers collectifs, décourager le recours à la voiture individuelle, augmenter la part des transports propres et doux. Les émissions des véhicules individuels sont, en Île de France, responsables de 25 % des pollutions atmosphériques (PM10 = poussières ou particules fines) dont on connait maintenant les conséquences sur notre santé (en particulier sur celle de nos enfants) et sur le réchauffement climatique dont les répercussions seront dramatiques pour nos sociétés à terme.3 C’est une gestion durable des routes contre un étalement urbain inconsidéré du réseau routier et l’intensification de l’artificialisation de notre territoire. Nous devons protéger nos bois, nos forêts, nos animaux qui font aussi l’attractivité touristique de notre territoire.

La sécurité écologique, c’est également protéger nos ressources en eau. À ce propos, je voudrais saluer le travail de Jean Dey, seul élu écologiste au département, qui, à la tête d’Aquibrie (l’agence départementale pour la connaissance et la protection de l’aquifère de Champigny) a accompli un très gros travail pour sensibiliser à et développer une gestion durable de cette ressource vitale. Il s’agira pour nous de continuer et d’amplifier le travail accompli. Nous réaffirmerons notre opposition à toute forme de marchandisation de l’eau, un bien commun vital.

La sécurité écologique signifie aussi lutter contre la précarité énergétique (une autre compétence du département). L’ensemble des ressources du département à commencer par le SDESM (syndicat départemental des énergies de Seine-et-Marne, qui regroupe l’ensemble des communes de Seine-et-Marne), créé le 1er janvier 2014, devront converger vers l’autonomie énergétique de la Seine-et-Marne et le développement d’une filière énergétique durable. Le département devra en outre encourager le soutien aux politiques de rénovation des bâtiments vers davantage d’efficacité énergétique et veiller à l’application des dernières normes environnementales en matière de nouvelles constructions. Au niveau des individus et à travers sa politique sociale, le département devra également veiller à aider les familles nécessiteuses à sortir de la précarité énergétique. Il est inadmissible qu’on accepte que certain-e-s aient froid et qu’on ait abandonné l’idée d’un service public de l’énergie.

La sécurité écologique c’est aussi empêcher les usages délétères du territoire à travers l’augmentation des surfaces consacrées aux décharges ou l’extension des incinérateurs. Aujourd’hui, la Seine-et-Marne accueille 80% des déchets inertes de la région Île de France. Mais on ne peut pas d’un côté refuser de voir le problème majeur que pose à nos territoires, et en particulier à la Seine-et-Marne, la gestion des déchets et d’un autre côté ignorer notre responsabilité dans leur prolifération. Nous devons promouvoir une politique et des comportements qui visent à la réduction drastique du volume de déchet et à leur gestion durable en collaboration avec les communautés d’agglomération ou de communes qui ont compétence sur la question des déchets.

La sécurité écologique doit être sanctuarisée et viser les objectifs qui lui sont intrinsèquement liés : protéger notre territoire pour protéger ses habitant-e-s.

Pour finir, je voudrais attirer votre attention sur le fait que ces trois formes d’insécurité frappent en priorité les classes populaires. La modicité de leurs revenus ne leur permet pas de refuser la nourriture industrielle vendue dans des grandes surfaces et traitée une multitude de fois pour sa culture et sa conservation. Les classes populaires sont souvent obligées de vivre en périphérie des villes, proches des artères de circulation les plus denses et sont davantage exposées à la pollution atmosphérique et au bruit. Elles connaissent la précarité énergétique et la faiblesse des transports en commun et leur renchérissement en fonction de la distance parcourue les touche en priorité. À cette insécurité écologique s’ajoute l’insécurité sociale consécutive au désengagement de l’État social et à la dégradation de leur condition de santé. Car à la malbouffe et à la pollution s’ajoute une organisation du travail délétère pour les classes populaires, exposées à la précarité, à la faiblesse des salaires, à la perte de droits acquis qui contribuaient à rendre acceptable la condition salariale. Enfin, à ces deux formes d’insécurité, dans certains quartiers, l’augmentation de la criminalité, qui est une réponse dramatique à une organisation du travail qui fabrique un volant croissant de chômeurs/ses, exposent leurs habitant-e-s à une insécurité civile croissante.

C’est pour toutes ces raisons qu’il n’existe pas d’écologie politique qui ne soit pas aussi sociale. A moins de proposer une « écologie capitaliste » absolument contradictoire avec les principes fondamentalement humanistes de l’écologie politique.

Bénédicte Monville-De Cecco

(le mercredi 4 février 2015)

1 Lesquelles constituaient des systèmes de protection-suggestion à travers la participation à des groupes d’appartenance.

2 À titre de comparaison, les Yvelines arrivent juste après avec 88 649 hectares en 2012 soit quatre fois moins. Toutes ces données sont disponibles sur le site de INSEE.

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