Voeu pour la commémoration de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions

EsclavesLors du conseil municipal du jeudi 26 juin 2014, Mme. Bénédicte Monville-De Cecco et M. Claude Bourquart, conseillers municipaux d’opposition (Bien Vivre à Melun, EELV-PG), ont présenté au maire de Melun M. Gérard Millet et à l’ensemble du conseil municipal le voeu qu’ils souhaitaient soumettre au conseil municipal de Melun en faveur de la commémoration par la ville de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions dans le cadre de la journée nationale de commémoration du 10 mai.

À l’issu de la lecture du texte que vous trouverez ci-dessous, le maire de Melun a déclaré qu’il n’entendait pas soumettre ce voeu au conseil et que la ville de Melun ne s’associerait pas à la journée nationale de commémoration de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions.

Nous remercions les conseillers municipaux qui nous ont apporté leur soutien et, en premier lieu, l’opposition socialiste et communiste.

« Au dernier conseil municipal nous vous demandions pourquoi la municipalité n’avait rien organisé à l’occasion du 10 mai 2014 dans le cadre de la journée nationale de commémoration de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions. « Cette commémoration n’est ni un acte de contrition, ni un geste de repentance et encore moins un acte d’accusation. Elle se veut comme un moment où la République et la Nation regardent leur histoire. » (F. Régent, voir ci dessous). En l’occurrence ici, celle de la traite, telle qu’elle fut pratiquée par l’Etat monarchique et des entreprises françaises, entre la France, l’Afrique et les Amériques du tout début du 17ème siècle au début du 19ème siècle et de l’esclavage tel qu’il fut pratiqué dans les colonies françaises de 1625 à 1848. Il ne s’agit pas de désigner des coupables ou des victimes mais d’interroger sans concession ni accablement une période historique à la fois longue et récente, et qui fut décisive dans la construction de notre société moderne. Voyez-vous si mon arrière-arrière-grand-mère, affranchie à l’âge de douze ans, fut une de ces 4 millions d’êtres humains réduits en esclavage aux Antilles, cette histoire n’est pas seulement mon histoire. Et, à l’instar de millions de femmes et d’hommes dans notre pays si une part de mes ancêtres étaient esclaves, d’autres étaient esclavagistes et d’autres encore étaient des paysans, auvergnats en l’occurrence. Cette histoire est bien celle de la société française tout entière, de la manière dont elle s’est constituée. C’est une histoire complexe et essentielle pour qui veut comprendre notre société moderne. Commémorer cette histoire est une occasion de la faire sortir des réductions manichéennes où elle est si souvent confinée.

Il n’est pas nécessaire que la ville dépense trop d’argent mais plutôt qu’elle organise, en associant éventuellement sa population, un événement culturel qui participe d’une meilleure connaissance et d’une meilleure compréhension de notre pays et des problèmes non plus cette fois passés que nous rencontrons mais actuels et qui sont intimement liés à cette histoire là.

En 1955, Aimé Césaire écrivait en ouverture de son discours sur le colonialisme (je cite): « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente./ Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte./ Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. » (fin de citation)

Notre première constitution, adoptée par la République française en 1793, faisait de l’abolition de l’esclavage et de la servitude un principe républicain. C’est aussi ce principe qu’une telle commémoration a vocation à réaffirmer contre toutes les servitudes et contre tous les esclavages modernes. L’héritage intellectuel de la Révolution et de la République française nous invite à cette exigence.

Par conséquent, nous formons le voeu qu’à partir du 10 mai 2015, la ville de Melun s’associera à la journée nationale de commémoration de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions. »

Bénédicte Monville-De Cecco

Je reproduis ci-dessous, avec son aimable autorisation, un extrait d’un texte de Monsieur Frédéric Régent, maître de conférence en histoire moderne à l’université Paris 1 et membre du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage et qui vous donnera quelques éléments de contexte supplémentaires. Je remercie chaleureusement Monsieur Régent.

« (…)

Cette commémoration n’est ni un acte de contrition, ni un geste de repentance et encore moins un acte d’accusation. Elle se veut comme un moment où la République et la Nation regardent leur histoire. L’esclavage pratiqué dans les colonies françaises de 1625 à 1848 appartient à l’histoire de France. Ce ne sont ni l’Occident, ni l’Afrique et encore moins la Nation ou la République qui sont responsables de l’esclavage, mais des hommes avides d’enrichissement et de pouvoir. D’ailleurs l’historien ne réfléchit pas en termes de coupables et de victimes, mais tente d’expliquer les phénomènes historiques. L’historien n’est pas le juge du passé. Il faut d’ailleurs bannir toute idée de tribunal de l’histoire.

C’est donc la quête de richesse et de puissance qui a conduit des élites à pratiquer l’esclavage au cours de l’histoire. Il s’agit de se souvenir que certaines fortunes se sont fondées sur le système de la plantation esclavagiste et du commerce de denrées produites par des millions d’esclaves. Il s’agit de se rappeler qu’à deux reprises, des Républicains ont aboli l’esclavage. Il faut également avoir en mémoire que l’abolition de l’esclavage et de la servitude est un principe républicain inscrit dès la première constitution républicaine qu’ait connue la France, adoptée en 1793. Si l’application de ce principe fût différée d’un an, c’est en raison de l’activisme des lobbys défendant les intérêts des négociants des ports et des propriétaires des plantations.

En 1794, la première abolition de l’esclavage fut célébrée dans 35 communes, 683 messages de remerciements furent envoyés à la Convention pour la féliciter de l’adoption de l’abolition de l’esclavage. Dès cette époque, des hommes et des femmes ont senti la nécessité de commémorer cette décision. Commémorer l’abolition de l’esclavage, c’est donc s’inscrire dans les pas de ces femmes et de ces hommes, qui il y a 210 ans ont célébré l’abolition de l’esclavage, ont célébré les esclaves qui ont lutté pour la victoire de la République à Saint-Domingue et en Guadeloupe. Les partisans du rétablissement de l’esclavage étaient hostiles à ces célébrations. Ils ont d’ailleurs profiter de la liquidation de l’héritage républicain par Napoléon Bonaparte pour rétablir l’esclavage, en 1802.

Il faut se rappeler qu’en 1848, l’une des premières mesures de la Seconde république a été d’abolir l’esclavage de le considérer comme un « crime de lèse-humanité ». Le fait de posséder un esclave a alors été considéré comme un crime tellement grave qu’il entraînait la déchéance de la nationalité française, peine qui n’était prévue pour aucun autre crime, même celui de haute trahison.

Commémorer le 10 mai, c’est se souvenir de l’histoire de quatre millions d’enfants, femmes et hommes qui ont subi l’esclavage dans une colonie du royaume de France, mais qui sont aussi les ancêtres de millions de Français, vivant en outre-mer ou dans l’hexagone.

Commémorer, c’est refuser la simplification et l’amalgame.

Commémorer, c’est refuser tout discours global de culpabilisation ou de victimisation.

(…)

Commémorer est le premier acte de lutte contre l’esclavage moderne. »

(Frédéric Régent, Maître de conférences en Histoire Moderne, Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, Institut d’Histoire de la Révolution Française, Membre du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage)

Et pour ceux qui voudraient poursuivre :

http://www.herodote.net/Des_origines_au_XXe_siecle-synthese-13.php

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